1950 (le tournant)
Le Vietminh dispose maintenant d’une base arrière où il peut s’entraîner et être équipé par les Soviétiques et les Chinois. Redoutant que ce conflit ne devienne une guerre idéologique, les États-Unis vont dès lors aider massivement l’Armée française. La 1ère étape de cette aide se traduit par l’arrivée de C47 en juin, puis d’une livraison de chasseurs F6F « Hellcat », de F8F « Bearcat » et de bombardiers Douglas B26 « Invader ». L’aéronavale reçoit également des F6F « Hellcat », des Curtiss SB2C « Helldiver », des bombardiers lourds PB4Y-2 « Privateer » et des hydravions Grumman JRF-5 « Goose ».
L’Armée de l’Air doit alors être réorganisée. Le général Hartmann, remplaçant du général Bodet depuis le mois de mars, va créer des Groupements Aériens Tactiques : le GATAC Sud dont le poste de commandement est à Saïgon, le GATAC Centre a son PC à Hué et le GATAC Nord à Hanoï. En août, une deuxième transformation a lieu en remplaçant les groupes de chasse par des groupes de marche. Dorénavant les GC seront nommés par GM.
Sur le terrain, les premiers mois de l’année 1950 ont vu une recrudescence des attaques Vietminh coïncidant avec la fin de la saison des pluies. Les combats les plus violents se déroulent en Annam et au Tonkin, notamment sur le poste de Cao-bang. La 5e escadre et le GC I/3 vont repousser vigoureusement leurs attaques. Mais c’est à la fin de l’été que Hô Chi Minh lance ses régiments basés en Chine et la situation se dégrade très vite. Le général Hartman doit donc engager toutes les forces aériennes pour dégager les postes du Tonkin. Malgré cela, les troupes françaises sont contraintes de se replier.
Les pertes subies sont sévères, et ce, malgré la couverture des P63 « Kingcobra » et le ravitaillement aérien fourni par les groupes de transport. Les conditions météorologiques et une DCA très efficace empêchent l’Armée de l’Air d’aider comme elle le voudrait les unités terrestres, elle ne peut que ralentir la progression ennemie. Devant cette situation le Gouvernement français envoie sur place le général De Lattre de Tassigny en qualité de commandant des Forces françaises en Indochine.
Quelques semaines auparavant le porte-avions « Dixmude » livre une partie des F6F « Hellcat » promis par les Américains, qui sont répartis dans les GC I/6 et GC II/6 en remplacement de leurs P63 « Kingcobra ».
1951 (Le conflit se durcit)
Fin décembre 1950, le général Giap veut chasser les Français du Tonkin. Il passe à l’attaque dans le secteur de Vin-Yen et celui de Dong-Trien. Le général De Lattre contre-attaque le 1er janvier avec l’aviation et la marine. Le Vietminh est obligé de se retirer mais le général Giap ne renonce pas : il relance ses unités sur Luc-Nam, Mao-Khé et Ninh-Binh et se heurte à une forte résistance. Jusqu’au 29 mai, date du repli général des assaillants, toutes les attaques sont repoussées grâce à l’action de l’aviation guidée par les MS500. Les assaillants ont perdu plus de 9000 hommes.
Le début de l’année 1951 est aussi riche en livraison de nouveaux avions plus performants. Tout d’abord, l’arrivée du puissant F8F « Bearcat », un des avions les mieux adaptés de ce conflit, est pris en compte par le GC I/9, suivi par la livraison des bombardiers moyens B26 « Invader » pris en compte par le GB I/19. Utilisé la première fois dans la bataille de Mao-Khé, leurs actions seront déterminantes pour empêcher le Vietminh d’arriver à Haïphong.
Plusieurs changements d’affectation interviennent également au cours de cette période. L’EROM 80 remplace ses NC701 par des F8F, le GM III/6 remplace ses P63 « Kingcobra » par des F8F « Bearcat » et le GM II/9 équipé de F6F « Hellcat » relève le GC II/6.
En novembre, le général De Lattre passe à l’attaque et déclenche une offensive sur Hoa-Binh et Cho Bo appuyée par une forte concentration d’avions. En quelques jours, toute la région est réoccupée.
1952 ( La luciole)
En janvier 1952, le général Giap attaque sans succès en pays Thaï et sur la rivière noire. Il se replie mais menace le sud et le nord du delta du Mékong. Le général Salan, qui remplace le général De Lattre, ordonne aux troupes d’abandonner la rivière noire et de se regrouper dans le delta. Les combats reprennent en février dans le secteur d’Hoa-Binh et le Vietminh échoue encore, malgré plusieurs tentatives d’encerclement. Cette bataille aura couté 11000 hommes au général Giap.
Après cette bataille, les mois suivants sont relativement calmes. Le Vietminh repasse à l’offensive en octobre, en traversant le fleuve rouge, et engage 3 divisions contre le poste de Nghia-Lo. L’Armée de l’Air intervient rapidement et en masse faisant une nouvelle fois des ravages dans les rangs ennemis. À cette occasion, elle essaie une nouvelle méthode de combat : la tactique dite « Luciole » qui consiste à illuminer le champ de bataille au moyen de fusées éclairantes larguées par les C47. Mais le nombre des assaillants est énorme et le poste de Nghia-Lo tombe le 18 octobre. Une contre-attaque est lancée le 29 octobre mais l’ennemi s’évanouit dans la forêt pour réapparaître fin novembre au camp retranché de Na-San. Les Français résistent et l’aviation joue encore un rôle important en infligeant de lourdes pertes à l’ennemi.
Pendant ce temps, la 1ère unité d’hélicoptères est créée au sein de l’ELA 52. Ce sont des HILLER UH-12A récupérés au service de santé qui les utilisent depuis la fin de 1950 pour effectuer des évacuations sanitaires. Le GM II/8 prend la relève en février du GM III/6 basé à Haïphong. En mars arrive une 2e unité de bombardement le GB I/25 et en juin le GM I/21 remplace le dernier groupe de chasse encore présent en Indochine, le GC I/9.
1953 (le déséquilibre numérique)
L’Armée de l’Air souhaite moderniser ses avions de transport et remplace progressivement ses vieux AAC1 par des C47 et par quelques C119 « Flying Boxcar », qui seront très utiles compte tenu de leur grande charge emportée (7 tonnes au lieu de 2,5 tonnes pour le C47). Pour la première fois, l’Armée de l’Air dispose d’une centaine d’avions de transport.
Les troupes Vietminh deviennent chaque jour de plus en plus nombreuses et mieux armées. Devant l’imminence d’une attaque au Laos, la base de Xieng-Khouang est renforcée avec des F8F et des B26 permettant de repousser les assaillants. En juillet, le commandement, souhaitant bloquer les livraisons d’armes en provenance de Chine, organise l’opération « Hirondelle », raid aéroporté et bombardement massif de la région de Lang-Son puis l’opération « Gruyère » dans la région de Dong-Dang. Pendant tout l’été, les troupes françaises multiplient les petites opérations qui s’avèrent efficaces. Le Vietminh surpris, se replie.
Début août, le camp retranché de Na-San est évacué sans accrochage dans le but de regrouper les troupes qui sont toujours très dispersées. En septembre et en octobre, ce type d’opérations se multiplie mais la résistance Vietminh est de plus en plus forte. Les parachutages de renforts augmentent mais le général Giap multiplient les attaques grâce à sa forte supériorité numérique. Début novembre, toutes les opérations françaises s’arrêtent car Giap menace le Laos. Le général Navarre décide alors de renforcer la base de Luang-Prabang au Laos et d’occuper Dien-Bien-Phu, une ancienne base japonaise située près de la frontière laotienne. Cette opération militaire a comme objectif politique de permettre à la France de négocier à Genève la fin de la guerre en position de force.
La célèbre bataille de Dien-Bien-Phu commence. L’opération « Castor » débute le 20 novembre 1953 en larguant 6 bataillons de parachutistes, dont le 6e BCP du commandant Bigeard pendant que les avions de transport font d’incessantes rotations de largage de ravitaillement, de troupes, de munitions et de matériels divers, les B26 et F8F de l’Armée de l’Air et les F6F de l’aéronavale bombardent les mouvements de troupes adverses. Les parachutistes remettent rapidement en état l’ancienne piste et le 22 novembre les premiers avions atterrissent enfin.
1954 (Dien-Bien-Phu)
Malheureusement, les troupes françaises sont accrochées et dispersées un peu partout dans le pays, entraînant un étalement des forces aériennes qui opèrent à partir d’une quinzaine de bases. Le Vietminh, conscient de la situation, pousse les combats qui deviennent de plus en plus violents. Le général Navarre, persuadé qu’il faut attaquer, lance une autre grande opération « Atlante » pour prendre au piège 30000 soldats Vietminh dans les lagunes marécageuses entre Tourane et Nha-Trang, au centre du pays, délaissant les défenseurs de Dien-Bien-Phu. Pendant ce temps, les divisions Vietminh encerclent le camp retranché et parviennent au bout de 57 jours de combats acharnés à le prendre, malgré la mobilisation générale de toute l’aviation d’Indochine. Cependant, la chute du camp retranché de Dien-Bien-Phu ne marque pas la fin de la guerre. Les combats continuent avec intensité pendant encore trois mois sans que le Vietminh n’emporte de succès décisifs.
Les États-Unis renforcent considérablement les forces aériennes et comblent largement les pertes du printemps. Un nouveau groupe de bombardement, le GB I/91, est créé pour l’Armée de l’Air avec des B26 ainsi que deux nouvelles flottilles pour l’Aéronavale : la 24F avec des Privateers et la 14F avec des Vought F4U-7 « Corsair ». Le GT II/64 s’équipe, quant à lui, en train de s’équiper du premier avion de transport Français le NORD 1501 « Noratlas » et les MS500 commencent à être remplacés par des CESSNA L-19 « Bird dog ».
Le cessez-le-feu est décrété le 27 juillet 1954 à la signature des accords de Genève, séparant le pays en deux. Cela clôt une des pages douloureuses de la colonisation française en Asie du sud-est. La guerre du Vietnam va commencer.
Bibliographie
Jean-Claude SOUMILLE, L’aviation militaire Française en Indochine : 1946-1954, Association Airdoc, 1994