Contexte historique
L’hiver 1915-1916 est, dans tous les domaines, une période d’intense préparation. Il s’agit de combler les insuffisances de l’aviation française et de faire face à une situation dégradée au point que l’on peut parler de crise.
En février, le sous-secrétariat à l’aéronautique est supprimé et l’on revient à l’ancienne formule : l’aéronautique redevenant la 12e direction du ministère de la Guerre avec, à la tête le colonel Régnier, artilleur peu compétent en matière d’aviation, et de surcroit, vite en désaccord avec le colonel Barès du GQG.
Opérations militaires
- La défense de Verdun
C’est dans cette situation peu satisfaisante que les Allemands déclenchent leur offensive sur Verdun, le 21 février 1916, pour « saigner à blanc l’armée française ». Le secteur est considéré comme un secteur calme. Il est peu défendu, pas de tranchées, pas de réseaux de barbelés et pas une ligne téléphonique enterrée. Les Allemands concentrent alors 270 appareils pour dominer le ciel et les Français ne peuvent opposer que l’aviation de région, soit 60 avions, qui plus est, périmés (« Caudron G3 », « MF 11 », « Nieuport 10 »). Le courage et l’abnégation n’auront pas raison des Fokker EIII qui dominent le ciel entre février et mars. L’armée française devient aveugle et affaiblie car le repérage des batteries ennemies et le réglage d’artillerie ne se fait plus. Dans cette première phase de la bataille, les Allemands doivent leur succès terrestre, en grande partie, à leur supériorité aérienne. Cette situation désespérée est rattrapée à compter d’avril grâce à une série de mesures prises en mars, sous la nécessité.
- D’abord, le front est divisé en cinq secteurs correspondant chacun à un corps d’armée. À leur tête, se trouve un commandant de l’aéronautique sous les ordres du général de corps d’armée. Ces commandants restent sur place lorsque les escadrilles quittent le front. Il en est de même pour les observateurs, qui sont maintenant rattachés à leur escadrille au lieu d’être rattachés à un régiment d’artillerie.
- Sur le plan numérique, toutes les escadrilles, non indispensables sur le front, sont rameutées et viennent combattre à Verdun. D’autre part, les meilleurs chasseurs, les as, sont prélevés dans toutes les escadrilles pour former le 1er groupement d’aviation de chasse avec, comme chef, le commandant de Rose. Au 15 juillet 1916, il y a 217 avions au-dessus de Verdun.
Cette concentration de moyens et d’as de guerre ne peut faire oublier les insuffisances du « Nieuport 11″ (47 balles au-dessus de l’hélice) face au « Fokker EIII ». Pourtant, 1916 demeure l’année de la consécration de la chasse, d’abord à Verdun puis dans la Somme. Elle œuvrera dans des conditions matérielles très difficiles, palliant l’insuffisance du matériel par l’exceptionnelle qualité des hommes. Le manque de terrains d’atterrissage, l’état déplorable de ceux qui existent accroissent considérablement les pertes dues aux accidents.
C’est le commandant de Rose qui va être l’un des fondateurs de la doctrine de la chasse, grâce à quoi la situation va être redressée. Il préconise l’offensive à outrance pour empêcher toute incursion de l’aviation ennemie et pour attaquer l’ennemi dans ses propres lignes. Ceci présuppose d’occuper le ciel en permanence, donc de privilégier des actions de masse et d’exclure des actions individuelles. C’est au cours de ces missions que s’ébauchèrent les premières patrouilles de chasse. Dès le mois d’avril, la reconquête du ciel était chose acquise. Encore fallait-il pour parfaire la victoire abattre le plus d’avions ennemis possibles. Mais les patrouilles, visibles de l’ennemi, excluaient tout effet de surprise. Aussi les as demandèrent, en plus de patrouilles, d’effectuer des sorties en solitaire au-dessus des patrouilles intégrant ainsi la chasse individuelle dans une tactique aérienne globale.
Ce spectaculaire redressement, fruit d’une meilleure organisation et d’une nouvelle tactique aérienne, fut aussi possible grâce au courage et à l’esprit de sacrifice de nombreux pilotes (une centaine de pilotes et d’observateurs sont perdus entre le 21 février et le 1er juillet), ainsi qu’à deux améliorations au niveau de l’armement :
- La nouvelle mitrailleuse synchronisée Vickers est mise en service, en mai 1916, sur le nouveau chasseur « Nieuport 12 » de 110cv .
- Les fusées Le Prieur montées par huit sur des « Nieuport » pour incendier les ballons d’observation allemands : Les « Drachens ».
Le redressement de la situation, grâce à la chasse, va permettre aux avions de reconnaissance et d’observation de reprendre leur mission. Les vieux « Caudron G3 » et « MF 11 » sont toujours là aux côtés des « Caudron G4 » maniables et robustes et des « F40 » (aussi vulnérables que les « MF11 » à cause de leur moteur situé à l’arrière). Mais compte tenu de l’ampleur de la bataille, le nombre d’avions d’observation ne suffit pas. Le réglage de l’artillerie se fait par les artilleurs eux-mêmes et les erreurs de réglage se multiplient. Heureusement, la photographie aérienne s’affine, permettant de mieux connaître le terrain et de fournir des renseignements sur l’ennemi comme les relèves des troupes, le nombre d’unités en lignes, le résultat précis des tirs de démolition. Des milliers de photos sont centralisées, dans chaque secteur, permettant la tenue de fiches de renseignement mises quotidiennement à jour.
- L’Offensive sur la Somme
Les leçons de Verdun ne sont pas oubliées pour l’offensive de la Somme, en juillet 1916. Pour la première fois, l’intérêt de la supériorité aérienne est apparu en appuyant les attaques successives sur des objectifs limités et écrasés par l’artillerie lourde qui ouvre ainsi un chemin à l’infanterie.
L’attaque est précédée par six jours de violents tirs d’artillerie, les plus longs et les plus intenses jamais effectués. Les Allemands ne peuvent répliquer. Le ciel est tenu par le capitaine Brocard avec ses escadrilles de chasse, qui ont été envoyés en grand secret, en Picardie à Cachy, près d’Amiens. C’est le retournement complet de la situation de Verdun. De juillet à septembre les Français ont la maîtrise totale du ciel. Certes, le « Nieuport 17″ à 110ch débite 100 cartouches au lieu de 47 et reste moins puissamment armé que le « Fokker EIII », mais il règne une atmosphère d’enthousiasme et d’émulation qui aboutit à la domination complète de l’adversaire. Cachy devient le haut lieu de la chasse. On y retrouve les deux plus célèbres escadrilles : l’escadrille N3 du capitaine Brocard, à l’emblème de la cigogne, véritable pépinière d’as : Guynemer, Dorme, Heurtaux, Deullin, de La Tour et l’escadrille N65 du capitaine Féquant avec Nungesser. Les attaques par bombes ou à la mitrailleuse, obtiennent des résultats importants contre l’infanterie ennemie qui a le sentiment d’être découvert, là où elle se croit cachée et en sécurité.
Mais les Allemands vont se ressaisir. Ils lancent dans la bataille les forces jusque-là retenues à Verdun. La fin de la bataille de la Somme (novembre 1916) se déroule en combats acharnés entre adversaires déterminés. L’aviation allemande est encore dominée mais elle ne l’est plus aussi facilement et aussi totalement. Les Allemands viennent de sortir deux nouveaux avions. Le « Halberstadt » et l’ »Albatros » de près de 200 cv, bons grimpeurs et remarquablement armés. L’as allemand Boelke, succédant à Immelmann tombé le 18 juin 1916, remporte victoires sur victoires (40 au total). Heureusement, au même moment, sort un nouvel avion français le « Spad 7 », monoplace de 150, 180 et 200 cv armé d’une mitrailleuse Vickers à tir synchronisé avec plus de 500 cartouches, volant à 217 km/h à 2000 m. Ce nouvel appareil équipera toutes les armées alliées de la fin 1916 à 1918.
Matériels en service
Au 1er novembre 1916, sur 1418 appareils sur le front, 322 sont des monoplaces de chasse dont seulement 25 sont les nouveaux « Spad 7 ». Sur les 837 avions d’observation et de reconnaissance, 802 sont périmés à cause de leurs moteurs propulsifs, les empêchant de se défendre vers l’arrière. Le bombardement est toujours à la recherche d’un avion puissant pour reprendre ses missions de jour. Il va donc falloir maintenant, pour acquérir cette supériorité technique, qu’une part très importante de l’effort de guerre, soit consacrée au développement de l’aéronautique. La demande va être sans limite. Or, en dépit des prodiges de rendement et l’importance des sommes d’argent, l’effort industriel sera décalé par rapport aux exigences du front.
Cette prise de conscience, que le succès de la guerre aérienne dépend avant tout de la production de masse des meilleurs avions, se concrétisera plus vite en Allemagne qu’en France. L’année 1917 sera encore une année difficile pour les aéronautiques alliées.
Bibliographie
- Icare : l’aéronautique militaire française 1914-1918, tome 1 par Simone Pesquiès-Courbier